La charpente du moulin à prières : architecture sacrée et travail à l’ancienne

Malgré le temps hivernal peu clément, les artisans sont parvenus à terminer le pavillon du moulin à prières. Il ne reste plus que les bancs et le sol à finaliser.
Un moulin à prières (et de cette taille !) n’est pas un édifice anodin. Il fallait donc à ce lieu propice au recueillement et aux souhaits, un écrin approprié. Pour cela nous avons fait appel au collectif Copeaux Cabana, tout proche de Dhagpo. Il s’agit d’un regroupement d’artisans appartenant à différents corps de métier (charpente, menuiserie, taille de pierre, ferronnerie d’art) qui se sont rassemblés autour du bâti ancien et traditionnel, afin de préserver et diffuser les savoir-faire vernaculaires. Brunelle, Austin et Yohann ont donc d’abord taillé les bois dans leur atelier, puis ils sont venus effectuer le montage final de la charpente, avant que Matthieu, le couvreur, ne lui apporte sa touche finale, en le recouvrant de tuiles fabriquées à la main.

Nous vous proposons la rencontre avec une femme du bois : Brunelle, charpentière et architecte responsable de ce chantier.

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Dhagpo : Est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur la philosophie sous-jacente à ton travail ?

Brunelle : Nous travaillons en charpente à l’ancienne. Cela veut dire que les techniques pures n’ont pas vraiment évolué par rapport aux charpentes qui se faisaient il y a deux cents ans. Ce qui a pu évoluer, c’est l’outillage que nous utilisons qui est mi-moderne, mi-ancien. Nous nous différencions donc beaucoup de la construction en ossature bois très moderne avec de la visserie, etc. Au niveau des techniques, nous travaillons avec des bois peu usinés. Nous gardons en fait les courbes naturelles, nous suivons le fil du bois. Nous ne sommes pas obligés de faire une ligne droite. C’est donc la particularité de nos charpentes : elles peuvent avoir des courbes et c’est précisément ce que nous recherchons. C’est mécaniquement beaucoup plus solide et, esthétiquement, beaucoup plus beau ! Ces bois étant donc très inégaux, il faut employer des techniques de piquage, au fil à plomb, etc., pour les traiter. Par ailleurs, chaque assemblage est tracé sur mesure, ce qui n’est pas le cas en charpente conventionnelle avec des bois parfaits et calibrés où l’équerre est utilisée. Nous ne pouvons pas utiliser d’équerre. C’est une technique spécifique à la charpente à l’ancienne.

 

Dhagpo : Avez-vous une philosophie particulière par rapport au traitement de la forêt ?

Brunelle : Nous aurions envie de travailler avec une filière ultra locale, depuis le gestionnaire jusqu’au bûcheron-débardeur et nous, qu’il y ait de la proximité et le respect de l’environnement. Cela a disparu aujourd’hui, il faut donc recréer les filières, c’est compliqué, donc nous faisons ce que nous pouvons.
Pour ce projet le bois vient de deux plans différents : un plan en Corrèze, à une heure d’ici, issu d’une gestion forestière durable, avec une démarche qualitative. Malheureusement, leur rendement n’est pas suffisant pour la quantité dont nous avons besoin ; une autre partie provient de la région, à vingt minutes de Dhagpo.
Nous explorons une troisième possibilité qui serait d’exploiter nous-mêmes les forêts, ce qui serait idéal, mais il faut réunir plusieurs corps de métier, nous sommes donc en train de construire ce réseau.

 

Dhagpo : Quelle est ta spécialisation ?

Brunelle : Je suis spécialisée en architecture sacrée. J’ai appris la géométrie symbolique, le travail au compas, etc. C’était donc mon rêve de construire un bâtiment à destination sacrée, peu importe le courant spirituel, parce que je trouve que c’est le summum de ce que permet un espace. Grâce aux formes, grâce aux proportions, il est possible d’élever l’énergie d’un lieu et c’est quelque chose que je cultive secrètement… Chaque fois que je dessine une charpente, je la dessine avec cette conscience-là.

 

Dhagpo : Comment as-tu conçu cette charpente pour le moulin à prières ?

Brunelle : Très concrètement, je suis partie des cotes (hauteur et largeur) que je devais respecter, puis, sur cette base, j’ai essayé de développer au maximum la proportion dans le dessin. Je trouvais intéressant de partir d’une base carrée, qui est très équilibrée. Mon travail a été d’incorporer le cercle à cette base. Le carré symbolise souvent la terre et le cercle, le cosmos. C’est pour cela que nous avons proposé une enrayure rayonnante (la charpente à plat au-dessus du moulin). Techniquement, nous aurions pu faire quelque chose de plus simple ou avec des bois perpendiculaires, mais l’idée de la faire rayonnante permettait de créer un cercle dans le carré. Comme il s’agit d’un moulin à prières qui tourne, cela crée ce même mouvement dans la charpente. Les chevrons, qui rayonnent aussi, ont également pour but d’amener un mouvement circulaire à l’intérieur de la base carrée, ce qui était beaucoup plus complexe à réaliser, mais c’était pour moi un enjeu énergétique.

 

Une autre contrainte avec laquelle j’ai dû composer était imposée par les architectes des Bâtiments de France (NDLR : Dhagpo se trouve dans une zone protégée), puisqu’il fallait que l’apparence extérieure du pavillon soit de type périgourdin. Mon envie était que l’architecture intérieure évoque l’Asie, les origines du bouddhisme. En Asie, les constructions sont érigées par empilement. Au lieu d’assembler les éléments sur un même plan, comme nous le faisons en Occident, en Orient, les couches sont empilées les unes sur les autres. C’est ce que nous avons essayé de préserver dans cette structure : créer plusieurs épaisseurs pour donner au style une touche plus asiatique.

 

Dhagpo : À la fin vous avez cloué une branche de thuya…

Brunelle : C’est le bouquet de fleurs de saison qui est cloué au fait de la charpente, une fois celle-ci achevée. La tradition est de célébrer la fin du levage de la charpente. Le couvreur, qui intervient après, le coupe, mais il laisse la tige avec le clou, c’est la tradition. Personnellement, ce n’est pas vraiment le côté traditionnel qui me parle dans cet acte, c’est plutôt l’idée de célébrer, de ritualiser, un moment de fin. C’est un moment de partage avec toutes les personnes présentes. Le fait de lever un bâtiment est toujours un beau moment. Comme nous sommes encore en hiver, les fleurs ont été remplacées par une branche de thuya !

 

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